La croisade de Nicopolis ou comment Jean sans Peur a gagné son surnom

Bataille de Nicopolis

Juillet 1397 : après neuf mois passés dans les geôles ottomanes, Jean de Nevers fait un retour triomphal sur les terres de son père, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Pourtant, l’expédition qu’il avait mené quelques mois plus tôt fut un véritable désastre. Alors, que s’est-il passé lors de cette campagne pour lui valoir un tel accueil ? C’est l’histoire du jour, l’histoire de la croisade de Nicopolis.

Expansion ottomane vs chaos européen

A la fin du XIVème siècle, les Ottomans poursuivent leur expansion en Europe centrale et dans les Balkans. Ainsi, Mourad Ier écrase les serbes dans la plaine du Kosovo en 1389 avant que son fils et successeur, Bajazet, profite des rivalités entre chrétiens pour s’emparer coup sur coup de la Bulgarie et d’une partie de la Grèce. Si Constantinople demeure byzantine, l’Empire autrefois tout-puissant fait désormais pâle figure et ne peut même pas compter sur le soutien de la Russie ou de la Pologne qui doivent faire face à d’importants troubles internes. Seul Sigismond, roi de Hongrie, tente de stopper l’expansion ottomane, mais sans succès.

La solution pourrait venir de l’Europe occidentale mais, là aussi, la situation est compliquée. En effet, certains grands princes européens sont en rebellions contre l’autorité papale à Rome et n’hésitent pas à reconnaître un autre pape basé à Avignon. C’est ce que l’on appelle le Grand Schisme d’Occident qui perdurera plusieurs décennies. De plus, pour ne rien arranger, la guerre de Cent Ans fait rage entre les royaumes de France et d’Angleterre. Pourtant, en juillet 1396 Sigismond et l’empereur byzantin Manuel II parviennent enfin à convaincre le pape romain Boniface IX de lancer un nouvel appel à la croisade.

La Bourgogne à la rescousse

Par un heureux hasard, l’appel du pape tombe alors que français et anglais viennent de conclure une trêve, mais une nouvelle question se pose : qui va commander l’expédition ? Charles VI de France est devenu fou, Richard II d’Angleterre est contesté dans son royaume, l’empereur du Saint-Empire est incompétent et alcoolique, les princes italiens sont épuisés par leurs rivalités fratricides et Venise souhaite préserver de bonnes relations commerciales avec les Ottomans.

Toutefois, un homme est en mesure d’intervenir : le duc de Bourgogne Philippe le Hardi. Cependant, ce puissant prince hésite à l’idée de risquer sa vie et ses finances pour le seul bénéfice du roi de Hongrie. Il tente alors d’engager les ducs de Lancastre et d’Orléans qui s’étaient engagés à participer à une nouvelle croisade mais les deux seigneurs, éreintés par le conflit franco-anglais, ne sont pas en mesure de l’aider. Le duc parvient tout de même à constituer une armée importante grâce au support de ses comtés de Flandre et d’Artois. De plus, plusieurs hommes d’expérience et de valeur viennent garnir les rangs de la troupe dont le comte d’Eu, connétable de France et Guy de La Trémoille. La troupe est même renforcée par un détachement des Hospitaliers. Finalement le commandement de cette armée qui a fière allure, est confié au jeune fils du duc de Bourgogne : Jean, comte de Nevers, âgé de 25 ans.

Les forces en présence

A l’été 1396, les croisés entament ce qu’ils appellent leur « voyage en Hongrie ». En effet, pour les chevaliers, cette expédition n’est qu’une étape avant d’aller délivrer le tombeau du Christ en Terre Sainte. L’armée arrive finalement sur les bords du Danube à la mi-septembre ou elle rejoint les troupes de Sigismond situé près de la ville de Nicopolis. Les chrétiens assiègent alors la ville occupée par les ottomans et, trop sûr d’eux, ne s’inquiètent pas lorsqu’on leur annonce l’arrivée d’une armée de secours emmené par le sultan Bajazet en personne.

Le 28 septembre 1396, les deux armées se font face. D’un côté, les croisés se basent sur leur chevalerie, lourdement armée et soutenue par leur infanterie. Les chefs croisés sont cependant divisés sur la stratégie à adopter entre la prudence de Sigismond et la volonté d’en découdre de Jean de Nevers. De l’autre côté, les ottomans ont rassemblé une armée d’environ quinze mille hommes, dont la moitié sont des cavaliers, les spahis, beaucoup plus mobiles que les chevaliers européens. Ils peuvent compter sur l’appui des janissaires créé par Mourad Ier et sur une infanterie d’élite.

Le déroulement de la bataille

Malgré les conseils de prudence des hongrois, Jean de Nevers décide de lancer directement ses chevaliers. Les pieux disposés par les ottomans ralentissent la chevalerie chrétienne qui se bat alors à pied et s’enfonce dans le camp ennemi ou elle fait des ravages. Le fils du duc de Bourgogne donne l’exemple et fait preuve d’une témérité à tout épreuve ce qui lui vaudra d’ailleurs son surnom de Jean sans Peur. Malheureusement pour les croisés, le courage de leur chef excite les autres chevaliers qui vont finir par s’isoler les uns des autres en quête d’exploits personnels.

Finalement, les chevaliers sont assaillis de toute part par les spahis et les janissaires qui avaient été gardés en réserve au début de la bataille. La panique s’installe alors chez les croisés et l’infanterie hongroise préfère battre en retraite. Malgré leur courage, Jean de Nevers et ses fidèles lieutenants finissent par baisser les armes et sont suivis par l’ensemble des chevaliers et fantassins qui espèrent ainsi avoir la vie sauve. Néanmoins, et malgré les suppliques de Jean de Nevers, les prisonniers sont quasiment tous exécutés, le comte ne parvenant à sauver que 27 de ses compagnons.

Une rude captivité

Pour les rescapés, ce n’est alors que le début d’un long calvaire qui commence par une longue marche dans le froid et la boue en direction de Gallipoli, à proximité du détroit des Dardanelles. Il faut dire que le sultan, auréolé de cette victoire de prestige, a hésité quant au sort à réserver au comte lui-même. En effet, si l’exécution d’un seigneur aussi puissant aurait été un signal important envoyé à la chrétienté, il aurait également pu entrainer une vengeance de la part des souverains européens. Or Bajazet a encore de grandes ambitions en Europe centrale. Il décide donc de négocier une rançon pour son prestigieux prisonnier.

Lorsque les prisonniers arrivent à destination, ils sont épuisés. Certains sont même mort en trajet, affamés et maltraités par leurs gardes. Leurs conditions de détention seront tout aussi cruelles, les survivants s’attendant chaque jour à être exécutés selon le bon vouloir du sultan. Dans le même temps, le duc de Bourgogne a appris la défaite et la capture de son fils au soir de Noël. Il remue alors ciel et terre pour réunir les 200 000 florins demandés par Bajazet en mettant, encore une fois, les comtés de Flandre et d’Artois à contribution. Les Hospitaliers l’aideront également alors que les génois lui prêteront de l’argent. En parallèle, et afin de faire patienter le sultan, Philippe le Hardi lui envoie de somptueux cadeaux alors que le clergé bourguignon multiplie les processions et les messes.

Un retour triomphal

Enfin, après neuf long mois de captivité, les survivants sont libérés en juillet 1397. Après un passage chez les Hospitaliers à Rhodes, ils rejoignent la France où ils sont accueillis triomphalement. Ce retour surprenant s’explique par la volonté du duc de Bourgogne de mettre en avant la bravoure et l’esprit de sacrifice de son fils face à l’ennemi Ottoman. Cette « campagne de communication » réussi permet à Philippe et à Jean de défiler même cote à cote dans de nombreuses villes françaises et bourguignonnes ou des foules en liesse les acclameront. Sigismond de son côté, bien que blâmé par certains pour sa fuite lors de la bataille, finira par être élu empereur romain germanique en 1433.

En revanche, les lendemains de cette campagne seront difficiles pour Bajazet, car si le sultan réussira à s’emparer du reste de la Grèce et des dernières possessions byzantine en Asie Mineure, il sera attaqué à l’Est par un nouvel adversaire : le redoutable Timour le Boiteux, dit Tamerlan. Défait par ce-dernier lors d’une bataille sur le plateau d’Ankara en 1402, Bajazet sera à son tour fait prisonnier et mourra quelques mois plus tard.

Voilà pour cette croisade peu connue et peu glorieuse. Si l’article vous a plu, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux ! En attendant, je vous dis à bientôt 😉