De l’isolement à l’innovation : l’ère Meiji et la transformation du Japon

Ere Meiji

Jusqu’alors ancré dans un monde féodal ou sa société était régit par des traditions et coutumes séculaires, le Japon va connaître une période de transformation radicale sous l’ère Meiji qui s’étendit de 1868 à 1912. Entre réformes audacieuses, défis inédits et succès extraordinaires, retour sur cette période tumultueuse qui a transformé le Japon d’une nation isolée à une puissance mondiale émergente.

Changements politiques et administratifs

Le 31 mars 1854, le Japon est contraint de signer la Convention de Kanagawa. Ce traité, imposé sous la menace par les américains, ouvre la voie aux autres grandes puissances occidentales afin d’obtenir les mêmes avantages commerciaux que les Etats-Unis. D’un point de vue interne, ce traité humiliant marque le déclin de l’autorité du Shogunat Tokugawa qui dirigeait le pays à l’époque. Une révolte, principalement menée par des samouraïs des domaines de Satsuma et Choshu, éclate alors afin de renverser le Shogunat et de rétablir le pouvoir de l’empereur Meiji* alors âgé de quinze ans. Les batailles de Toba-Fushimi puis de Hakodate marquent la fin officielle du régime féodal des shoguns et ouvrent la voie à la restauration du pouvoir impérial.

Dès 1868, les domaines Tokugawa sont saisis et placés sous contrôle impérial alors qu’en 1869, la capitale du pays est transférée de Kyoto à Edo, qui est rebaptisée Tokyo. En 1871, les réformes s’accélèrent et tous les daimyos** doivent remettre leurs domaines à l’empereur. C’est la fin du système han*** et la mise en place d’une véritable centralisation administrative avec la création des préfectures placées sous la direction d’un gouverneur nommé par l’Etat. De plus, le système de classes qui caractérisait la société japonaise est aboli et une importante réforme fiscale est menée en 1873. Cependant, une vive opposition se manifeste dans les années qui suivent. D’un côté, des manifestants réclament davantage de démocratie alors que d’anciens samouraïs s’opposent au nouveau système mis en place. Dans les deux cas, les oppositions sont réprimées par la force.

Finalement, après de nombreuses crises et débats politiques, une Constitution, basée sur le modèle Prussien, est adoptée le 11 février 1889. L’Empereur de droit divin détient tous les pouvoirs, mais s’appuie sur un ministère et un conseil privé, le Genro, pour exercer le pouvoir exécutif. Pour le pouvoir législatif, il est assisté de la Diète formée de deux chambres. Cependant, le pouvoir de ce parlement est très réduit puisque les ministres ne sont responsables que devant l’empereur. En outre, ce dernier conserve un contrôle total sur l’armée et la diplomatie et dispose de pouvoirs réglementaires et budgétaires très étendus. 

* l’empereur Mutsuhito, est aujourd’hui plus connu sous le nom de Meiji Tenno

** seigneurs locaux japonais, qui gouvernaient un fief ou un clan (han), et qui n’étaient que nominalement inféodés à l’empereur

*** les hans étaient les fiefs des daimyos

Réformes économiques et agricoles

Afin de ne pas dépendre de l’étranger et d’éviter l’exploitation du pays par les puissances occidentales, l’empereur décide de développer une industrie forte malgré de lourds handicaps. En effet, suite aux traités inégaux imposés par les puissances occidentales, le Japon ne pouvait pas augmenter ses droits de douanes ce qui permettait aux produits étrangers de rentrer facilement sur le territoire japonais. De plus, le manque de matières premières et le retard technologique étaient des handicaps considérables pour le pays. Pourtant, l’économie japonaise va connaître une transformation rapide grâce à l’intervention de l’Etat qui va former un grand nombre de techniciens tout en soutenant la création de grands groupes industriels : les zaibatsu. Ces structures vont devenir de véritables conglomérats qui s’implanteront dans des domaines aussi variés que la banque, les transports, les mines où encore les industries mécaniques. Grâce à ces groupes, l’industrie japonaise emploiera près 420 000 personnes au début des années 1900 et connaîtra une croissance extraordinaire durant les premières années du XXème siècle. Ainsi, entre 1901 et 1913, la production sidérurgique japonaise passera de 7500 à 255 000 tonnes alors que les exportations passeront de 170 à 505 millions de yens entre 1900 et 1913. 

Néanmoins, au-delà des investissements dans l’industrie, le gouvernement japonais mènera également d’importantes réformes du système éducatif en particulier dans l’enseignement technique. Cela permit au Japon de rattraper rapidement son retard grâce à la création d’un système d’éducation moderne. Cela comprenait la création d’écoles élémentaires, secondaires et supérieures, ainsi que d’universités, suivant une structure similaire à celle des pays occidentaux. De plus, la standardisation du programme d’études, la création d’écoles normales afin de former les enseignants et l’utilisation de manuels scolaires standardisés facilita la transmission des valeurs et des idéaux promus par le gouvernement en plus de l’enseignement des matières académiques.

Cependant, avec le développement économique, des mouvements ouvriers, inspirés du socialisme européen, virent le jour. Une “Ligue pour la formation de syndicats” fut même créée, mais le gouvernement réagit vigoureusement. En 1900, toute propagande pour la formation des syndicats est interdite et en 1905, le gouvernement dissout la “Société du Peuple” (organisme de presse d’inspiration socialiste). Au-delà de ces mesures, des émeutes ouvrières sont réprimées avec force par la police et les émeutiers condamnés par les tribunaux.

En parallèle du développement industriel, un système financier moderne est mis en place avec la création du yen en 1871, de la bourse de Tokyo en 1878 et de la Banque du Japon en 1882. Des compagnies d’assurances et des banques commerciales privées sont également créées alors que des institutions à capitaux publics dynamisent le développement des secteurs stratégiques. Ainsi, la création de ces différentes structures va permettre au Japon de bénéficier d’un système financier performant au service de son économie.

Modernisation militaire et expansionnisme

La menace représentée par les pays occidentaux va également pousser le Japon a moderniser ses forces militaires. En 1873, une grande réforme est lancée afin de créer une armée nationale grâce à l’introduction du service militaire universel. En parallèle, une armée de soldats professionnels est également créée. Ces derniers reçoivent une formation militaire spécialisée afin d’occuper des postes de commandement ou des fonctions techniques au sein de l’armée. Une modernisation de l’organisation et de l’équipement de l’armée japonaise est également menée et des efforts sont faits pour adopter les tactiques et stratégies militaires modernes, ainsi que pour équiper l’armée de nouvelles armes et de matériel militaire avancé. En quelques décennies, ces efforts permettent au Japon de se positionner comme une puissance militaire émergente dans la région asiatique.

Il faut dire que non loin du Japon, un autre empire connaît des jours compliqué: la Chine. Incapable de résister aux puissances occidentales et partagée entre plusieurs sphères d’influences, la Chine est également vaincue par le Japon lors de la guerre de 1894-1895 au sujet de la Corée. Cette situation humiliante pour l’Empire du milieu va entraîner la création d’un mouvement de résistance en 1899 : les Boxers. Hostiles à l’influence étrangère, ils s’en prennent à l’été 1900 aux légations étrangères présentes à Pékin. Une expédition internationale de 16 000 hommes, dont des soldats japonais, est alors menée et vient à bout de la révolte. En conséquence, un traité humiliant est une fois de plus imposé à la Chine, alors que le Japon apparaît comme une puissance montante.

Suite à cette intervention, la Russie en profite pour occuper militairement la Mandchourie. Cette situation inquiète le Japon qui se rapproche alors de l’Angleterre. Un traité d’alliance de 5 ans est signé le 30 janvier 1902 entre les deux pays et reconnaît les intérêts anglais en Chine et japonais en Corée. De plus, les deux nations s’accordent sur une neutralité bienveillante en cas de conflit avec une autre puissance. Ce dernier point va avoir une importance capitale alors que les tensions russo-japonaises autour de la Corée et de la Mandchourie se multiplient. Finalement, le 6 février 1904, une flotte japonaise écrase la marine russe à Port-Arthur alors que la guerre est officiellement déclarée le 11 février. Une escadre russe est bien envoyée depuis la Baltique mais l’expédition est un désastre. L’Angleterre, tenant sa parole, va faire pression sur les autres puissances européennes pour empêcher le ravitaillement de la flotte russe qui sera écrasée par les japonais à Tsushima le 27 mai 1905.

Vainqueur militairement, mais épuisé financièrement, le Japon accepte la médiation américaine et signe le traité de Portsmouth avec la Russie le 5 septembre 1905. Les concessions acceptées par le gouvernement japonais vont fortement mécontenter les milieux nationalistes, malgré l’annexion du sud de l’île de Sakhaline et la mainmise toujours plus forte sur la Mandchourie et la Corée qui sera finalement annexée en 1910. Ainsi, lorsqu’il meurt le 30 juillet 1912, l’empereur Meiji laisse à son fils, Yoshi-Hito, un pays modernisé capable de s’imposer économiquement et militairement face aux autres grandes puissances de l’époque.

Vous connaissez maintenant les grandes réformes de l’ère Meiji qui auront permis au Japon de devenir un pays qui compte sur l’échiquier international au début du XXème siècle. Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à réagir et à le partager sur les réseaux.