Le destin tragique de Nauru : comment l’île la plus riche du monde est devenue pauvre

Nauru

Connaissez-vous l’île de Nauru ? Non ? Alors, partons à l’autre bout de la planète, en plein milieu de l’océan Pacifique, à 4 835 kilomètres de l’Australie. C’est ici que l’on trouve Nauru, la plus petite république du monde, avec ses 21 km², ses 9 000 habitants et sa petite capitale, Yaren. Cet atoll perdu aux confins du monde aurait pu rester anonyme ou attirer les touristes du monde entier sur ses plages de sable blanc, mais l’histoire en a décidé autrement. Retour sur l’effondrement spectaculaire de l’un des pays les plus riches du monde dans les années 1970, aujourd’hui en ruine.

En 1906, le destin de Nauru bascule avec la découverte d’importantes réserves de phosphate sur le plateau central de l’île. Cette ressource, issue de dépôts d’excréments d’oiseaux accumulés sur des millénaires, est un sel précieux utilisé dans la fabrication d’engrais et d’explosifs. Riche en phosphore, elle est essentielle à la croissance des plantes et augmente considérablement les rendements agricoles. Le gisement découvert, l’un des plus purs au monde, couvre 70 % du territoire.

À l’époque, l’île est sous contrôle allemand, et c’est d’abord eux qui exploitent cette précieuse ressource. Cependant, après la Première Guerre mondiale, c’est l’Australie, en collaboration avec la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, qui en prend le contrôle. La British Phosphate Commissioners (BPC) dirige alors les extractions à grande échelle. L’économie de l’île, déjà fortement basée sur l’extraction de phosphate, connaît un essor important après la Seconde Guerre mondiale grâce à l’augmentation des exportations.

Le 31 janvier 1968, Nauru obtient son indépendance et devient officiellement la plus petite république du monde. L’économie du pays prospère grâce à la nationalisation de l’industrie du phosphate, opérée par la Nauru Phosphate Corporation. Cette richesse propulse la petite nation parmi les pays les plus riches du monde. En 1974, les bénéfices générés par le phosphate atteignent 225 millions de dollars, et le PIB par habitant est alors le deuxième plus élevé du monde, trois fois supérieur à celui des États-Unis. À l’époque, seule l’Arabie saoudite fait mieux grâce à ses revenus pétroliers.

Les Nauruans voient alors leurs conditions de vie s’améliorer considérablement. L’État subvient à tous leurs besoins : alimentation de base importée (Nauru ne produit rien), véhicules tout-terrain flambant neufs, services publics gratuits, éducation et santé généreusement financées, exonération totale d’impôts et de taxes. L’État prend également en charge le téléphone, l’électricité et le logement. En parallèle, pour diversifier ses revenus et diminuer sa dépendance au phosphate, Nauru investit dans de grands projets immobiliers en Australie et aux États-Unis, comme la célèbre Nauru House à Melbourne. Sur l’île, un golf luxueux est construit, et une compagnie aérienne, Air Nauru, voit le jour dans le but de faire de Nauru un « hub du Pacifique ».

À partir des années 1990, les réserves de phosphate s’épuisent rapidement, réduisant drastiquement les revenus de l’île. La chute est vertigineuse pour cette petite république, dont la gestion inefficace et une gouvernance extravagante (voire frauduleuse) ont vidé le fonds souverain. Les investissements immobiliers du gouvernement s’avèrent désastreux, tandis que des scandales de détournements de fonds et de corruption éclatent. Dépendante presque exclusivement du phosphate, l’économie de l’île s’effondre. Le chômage explose, les infrastructures se dégradent, et Nauru doit s’endetter pour maintenir un niveau de vie qu’elle ne peut plus se permettre.

La crise économique s’accompagne d’une dégradation de la santé publique. Enrichis trop vite, les Nauruans ont adopté un mode de vie occidental marqué par un hyper-consumérisme et une certaine oisiveté. Tant que l’économie prospérait, les conséquences de ce mode de vie étaient masquées, mais avec la faillite du pays, elles deviennent visibles. Selon plusieurs rapports, les chiffres sont éloquents : 40 % de la population locale souffre de diabète de type 2, 90 % des adultes sont en surpoids et 47 % sont fumeurs.

Pour ne rien arranger, un troisième facteur aggrave encore la situation : l’environnement. En misant entièrement sur l’extraction intensive de phosphate, Nauru a rendu 80 % de son territoire inhabitable. La faune et la flore ont été anéanties, et le paysage est désormais lunaire, rendant le développement du tourisme impossible alors que 40% de la vie marine a été détruite. Ainsi, à la fin des années 1990, Nauru est un pays ruiné, endetté, ayant perdu sa culture traditionnelle et détruit à la fois la santé de ses habitants et son écosystème.

Face à ce désastre, l’État, lourdement endetté, licencie un tiers de ses fonctionnaires et rationne l’eau et l’électricité. L’île devient tellement vulnérable qu’elle dépend largement de l’aide internationale pour survivre. Symbole des mauvais choix passés, la Nauru House de Melbourne est vendue pour 140 millions de dollars américains. Malgré cela, les finances restent insuffisantes. Nauru se tourne alors vers des activités illégales : blanchiment d’argent et vente de passeports notamment. En 2002, deux terroristes d’Al-Qaïda sont arrêtés avec des passeports nauruans. Ces transactions valent à Nauru d’être placé sur la liste noire des paradis fiscaux, tandis que ces activités ne profitent pas à la population.

Sur le plan diplomatique, Nauru tente également de monnayer son soutien. Elle obtient par exemple un prêt du Japon en échange de son vote à la Commission baleinière internationale (CBI). En 1999, elle reconnaît Taïwan comme nation souveraine en échange d’une aide financière. Cet accord est abandonné en 2024 au profit d’un autre accord, cette fois avec la République Populaire de Chine. Un autre exemple médiatisé et lucratif concerne l’accord passé avec l’Australie, qui finance un camp de rétention pour migrants à Nauru dans le cadre de sa « Solution du Pacifique ». Enfin, en 2008, Nauru reconnaît l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie en échange de 50 millions de dollars d’aide humanitaire russe.

Aujourd’hui, Nauru tente de se reconstruire. Le système de sociétés-écrans a été démantelé, et l’île a quitté la liste noire des paradis fiscaux. De nouvelles sources de phosphate et des réserves sous-marines de nickel, cobalt et manganèse pourraient même relancer son économie. Une question demeure désormais : les Nauruans auront-ils retenu les leçons de leurs erreurs passées ou vont-ils les répéter ? Seul l’avenir nous le dira. 

Voilà pour l’histoire de cette petite île à l’histoire atypique et disons-le, assez tragique. Si vous avez l’article, n’hésitez pas à le partagez sur les réseaux et à vous abonner au blog pour être alerté des futurs articles publiés !