Et si on créait un deuxième Paris ?

Paris

Le 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois est assassiné à Sarajevo par un nationaliste yougoslave. Cet évènement tragique va, par le jeu des alliances, entraîner le déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Cette guerre, que tous les belligérants pensaient courte, va finalement s’enliser, et en 1917, le conflit n’est toujours pas terminé. Cette année-là, une idée va faire son chemin au sein de l’État-Major français : et si on créait une réplique de Paris pour tromper les allemands. Mais comment et pourquoi en est-on arrivé à envisager un tel projet. C’est ce que nous allons voir dans cet article.

Les premiers bombardements

Lors des premiers mois du conflit, deux camps se font face. D’un côté, la Triple Entente avec la France, le Royaume-Uni et la Russie . De l’autre, la Triple Alliance, qui n’est finalement composée que des empires Allemand et Austro-Hongrois, l’Italie ayant choisi de rester neutre avant de rentrer en guerre en 1915… aux côtés de la France, du Royaume-Uni et de la Russie. Néanmoins, au-delà des aspects politiques du conflit, la Grande Guerre verra aussi l’apparition de nouvelles armes qui serviront les belligérants avec plus où moins de succès. Sur terre, on peut notamment citer les chars et les gaz de combat ; sur, ou plutôt sous les mers : les sous-marins ; et enfin, dans les airs, le développement de l’aviation de guerre.

Dans les premiers temps, les avions sont surtout utilisés pour des missions de reconnaissance et permettent de collecter de précieuses informations pour les victoires de Tannenberg (côté allemand) et de la Marne (côté français). Toutefois, une utilisation plus agressive de l’aviation ne va pas tarder à voir le jour avec l’apparition d’une véritable aviation de chasse composée d’appareils équipés d’une mitrailleuse synchronisée qui permet de tirer à travers l’hélice de l’avion. En parallèle, des appareils dédiés aux bombardements de cibles au sol apparaissent également, notamment côté allemand avec les célèbres Zeppelins* mais surtout les bombardiers Gotha G, plus maniables qui peuvent emporter jusqu’à une tonne de bombes sur un rayon de 200 km.

* dirigeables allemands qui seront utilisés dans le cadre de bombardements stratégiques à l’efficacité très limités

L’idée d’une réplique

Alors que les premiers bombardements aériens n’inquiètent pas les parisiens qui observent même les avions allemands depuis la butte de Montmartre, les progrès de l’aviation et l’utilisation des Zeppelins changent la donne. Ainsi, le 29 janvier 1916 une attaque de Zeppelin fait 26 morts dans les quartiers de Belleville et de Ménilmontant alors que dans la nuit du 11 au 12 janvier 1918, un autre bombardement aérien fait 70 victimes et touche même le ministère de la Guerre. 

Un système de DCA rudimentaire est alors mis en place grâce à des canons, des projecteurs et des ballons de barrages, mais début 1918, le secrétariat d’État à l’aéronautique et la direction de la lutte antiaérienne décident du lancement d’un nouveau projet de grande envergure : la création d’un faux Paris au Nord de la capitale afin de tromper les avions allemands, pas encore équipés de radar, et donc incapable de se repérer précisément. L’objectif étant de contrer les bombardements nocturnes, il n’est pas question de recréer les édifices connus mais plutôt de jouer sur les éclairages lumineux pour imiter les installations de la capitale afin de tromper les aviateurs allemands. En effet, suite aux progrès de la défense antiaérienne, les raids sont principalement nocturnes et les aviateurs se repèrent grâce à la Lune, aux cours d’eau et aux chemins de fer.

Le projet est confié à l’ingénieur Fernand Jacopozzi qui va construire son faux Paris lumineux au nord de la capitale. Pour cela, la réplique est décomposée en trois zones : 

  • La zone A, située autour des communes de Villepinte et Tremblay, imite les usines de Saint-Denis et Aubervilliers ainsi que les gares de l’Est et du Nord
  • La zone B, située près de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, doit reproduire le centre de Paris avec ses grandes avenues et ses principaux monuments puisque autour de Maisons-Laffitte, les méandres de la Seine ressemblent plus où moins aux boucles du fleuve à Paris
  • Enfin, la zone C située autour de Chelles reproduit une concentration d’usines et de haut-fourneaux.

Afin de rendre cette réplique crédible, Jacopozzi utilise différentes méthodes pour rendre sa réplique la plus réaliste possible afin de jeter un doute suffisant dans l’esprit des aviateurs allemands. Ainsi, l’ingénieur d’origine italienne créé des jeux de lumières à l’aide de lampes à acétylène pour imiter l’éclairage public sur les grandes artères parisiennes. D’un autre côté, un système de plateaux lumineux roulants permet de simuler la circulation des trains autour des gares. Enfin, les verrières des usines, généralement obscurcies par leur activité, sont imitées par l’utilisation d’une peinture translucide sur les toits. Evidemment, afin de rendre ce décor réaliste, les éclairages étaient tamisés afin d’imiter un black-out relatif. L’idée étant que les pilotes allemands remarquent la fausse ville, sans que cela devienne trop évident et donc suspect. D’un autre côté, un couvre-feu strict avait été instauré à Paris afin que les lumières de la capitale soient éteintes pour que les Allemands ne voient que celles du faux Paris.

Néanmoins, malgré de nombreux essais et tests, seule la zone A est partiellement terminée à la fin de la guerre avec la reconstitution de la Gare de l’Est et de plusieurs usines. Pour cela, de grandes plaques de bois éclairées latéralement imitent les trains sur une distance d’environ deux kilomètres alors que de la vapeur colorée par des lampes réplique les fumées des usines. Devenues inutiles, ces installations sont rapidement démontées dès la fin du conflit et aujourd’hui, seuls quelques photographies donnent aujourd’hui une vague idée des installations. Ironie de l’Histoire, on découvre après le conflit que les allemands travaillaient eux aussi sur des projets de fausses zones industrielles. Cependant, les difficultés d’approvisionnement n’auront pas permis à l’Allemagne de commencer les travaux.

Réalisation et impact futurs

Le dernier raid allemand sur la capitale aura lieu en septembre 1918. Deux mois plus tard, les combats sont terminés et le projet est abandonné. Cependant, l’idée de tromper l’ennemi restera présente dans les esprits des stratèges militaires et plusieurs pays utiliseront ce type de procédé souvent avec succès. On peut notamment citer plusieurs expériences menées durant la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, alors que les britanniques souffrent en 1941 face à l’Afrika Korps du général Rommel, les anglais feront appel à un illusionniste, Jasper Maskelyne, qui prendra la tête d’une unité spéciale appelée “Magic Gang”. Cette équipe rattachée au service de renseignements jouera un rôle décisif en camouflant la ville d’Alexandrie mais également le canal de Suez grâce à la construction de faux bâtiments, de fausses routes mais également des jeux de miroirs et des projecteurs. Rommel et l’aviation allemande se feront complètement avoir et échoueront en Afrique du Nord. 

Toujours durant ce conflit, les finlandais tromperont les soviétiques en mettant en place des illuminations en-dehors d’Helsinki alors que la ville elle-même était plongée dans le noir. Les alliés de leur côté créeront une fausse armée située en face du Pas-de-Calais afin de faire croire aux allemands que le futur débarquement se déroulera au nord de la France et non en Normandie. Ce type de subterfuge sera repris avec un certain succès par les anglais lors de la guerre des Malouines et par les américains lors de la guerre du Golfe, alors que durant la guerre du Vietnam, c’est le Viet-Cong qui utilisera de faux villages et de fausses installations militaires pour faire tourner en bourrique les troupes américaines qui perdront un temps précieux à fouiller des dizaines de kilomètres de tunnels en pure perte. Enfin, à l’heure d’aujourd’hui, c’est la Russie et l’Ukraine, actuellement en guerre, qui utilisent tous les deux des chars en caoutchouc pour tromper l’ennemi.

Voilà pour ce projet démesuré qui n’a finalement pas vu le jour mais qui montre l’importance de la dissimulation et de la désinformation opérationnelle en temps de guerre. Si vous avez aimé la vidéo, n’hésitez pas à la liker et à vous abonner à la chaîne et en attendant la prochaine, je vous dis à bientôt !