L’attaque de Port-Arthur : comme un avant-goût de Pearl Harbor ?

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Le 7 décembre 1941, le Japon attaque par surprise la base américaine de Pearl Harbor dans le Pacifique. Cette attaque est bien connue du grand public, mais 37 ans plus tôt, les japonais avaient déjà lancé une offensive surprise contre la flotte russe. Cet assaut naval  sera suivi d’un siège long et sanglant : c’est l’histoire de la bataille de Port-Arthur.

Deux empires ambitieux 

Dès le XVIIIème siècle, des navires russes s’approchent des côtes nippones et tentent d’établir des relations commerciales avec le Japon. Néanmoins, l’archipel japonais préfère rester replié sur lui-même et rejette les demandes des envoyés du Tsar. Un siècle plus tard, la Russie est dirigée par Nicolas II et le Japon par Mutsuhito (ou Meiji). Les deux empires ont de grandes ambitions territoriales, et visent notamment deux cibles de choix en plein déclin, la Chine et la Corée, incapable de se défendre face aux pressions répétés des grandes puissances européennes.

Ainsi, en 1894-95, un premier conflit oppose la Chine et le Japon. Sans surprise, l’armée japonaise l’emporte largement et s’empare de Formose (l’actuelle île de Taïwan) et de la péninsule de Liao-tong. Cependant, la joie des japonais sera de courte durée puisque sous la pression combinée de l’Allemagne, de la France et de la Russie, ils devront rétrocéder Liao-tong aux russes en 1898, dont la ville de Port-Arthur, idéalement placée pour la flotte russe, son port étant libre de glaces toute l’année. De plus, pour les russes, la ville est l’endroit parfait pour servir de terminus au célèbre Transsibérien qui n’est pas encore achevé à l’époque. Enfin, encouragée dans ses visées expansionnistes par l’Allemagne de Guillaume II, la Russie profite de la révolte des Boxers en Chine pour occuper la Mandchourie en 1901 que les japonais convoitaient également.

De l’autre côté, le Japon connaît un développement spectaculaire de son industrie et de sa population. Le riz et les ressources minières du continent sont donc scrutés de près et l’expansion russe irrite les autorités nippones. Néanmoins, un autre pays est agacé par les ambitions tsaristes : le Royaume-Uni. Ainsi, en 1902, les britanniques engagés dans la guerre des Boers en Afrique du Sud, avertissent le Japon qu’ils n’interviendront pas en cas d’attaque japonaise contre la Russie. Des négociations vont cependant être menées en 1903 mais ne donneront aucun résultat, le mépris de Nicolas II et la perspective russe d’une victoire facile ne facilitant pas les choses. Du côté japonais, la neutralité anglaise et l’éloignement du gros des armées russes convainquent les japonais qu’il est temps de frapper un grand coup sur la scène internationale. 

Un siège long et douloureux

Le 6 février 1904, 55 navires japonais quittent le port de Sasebo en direction de Port-Arthur. En chemin, la flotte se sépare en deux, une partie des vaisseaux se dirigeant alors vers le port coréen de Chemulpo situé à proximité de Séoul. Ainsi, le 8 février, la flotte japonaise attaque sans déclaration de guerre préalable la flotte russe. Si les pertes sont assez limitées pour les deux camps avec 150 morts environ de chaque côté, 7 navires russes sont assez sévèrement endommagés (mais pas coulés) contre aucune perte côté japonais. En parallèle, 8 000 soldats japonais débarquent en Corée et marchent vers Séoul. Enfin, le 10 février, le Japon déclare officiellement la guerre à la Russie.

Surpris, les russes ne peuvent pas faire intervenir le reste de leur flotte du Pacifique qui est bloquée par les glaces à Vladivostok. La route est donc dégagée pour les japonais qui débarquent alors en Mandchourie avant d’assiéger Port-Arthur à partir de la fin du mois de mai. Averti de l’arrivée des forces japonaises, les russes ont préparé leurs défenses mais ont perdu l’amiral Marakov qui meurt lors du naufrage de son navire lors d’une tentative de sortie de la flotte russe. Toute tentative de forcer le blocus naval étant inutile, les navires sont désarmés de leurs canons qui viennent renforcer les fortifications alors que leurs marins sont répartis dans les différents forts de la ville.

Alors que les russes tentent péniblement d’envoyer des renforts grâce au Transsibérien, les japonais, commandés par le général Nogi Maruseke, multiplient les attaques. Malheureusement pour eux, leur commandant surestime la capacité de son artillerie et sous-estime la détermination des russes. A partir d’août 1904, de nombreuses offensives sont lancées et se révèlent particulièrement meurtrières pour les troupes japonaises qui, au début de l’automne, ont déjà perdu 40 000 hommes. Comprenant que ses assauts sont inutiles, les japonais s’installent alors pour un siège de longue durée en créant un réseau de tranchées autour de la ville. L’organisation et la logistique japonaise fait alors l’admiration des observateurs étrangers et permet aux soldats japonais d’être bien installés et ravitaillés grâce à l’installation de bains chauds, de téléphones et d’un train de munitions. 

Néanmoins, le temps joue contre l’armée nippone qui craint l’arrivée de renforts russes. Ainsi, fin septembre, les japonais reçoivent de nouveaux obusiers de 280 millimètres surnommés les bébés d’Osaka. Les obus de 250kg font alors des ravages mais les assauts des soldats restent sans effet et particulièrement meurtriers. Il faut attendre le mois de novembre pour que le général Nogi trouve un défaut dans la défense russe : la colline 203 située au sud de la ville qui n’a pas été fortifiée par les russes. Enfin, le 29 novembre, après des combats dantesques où ils perdent encore plusieurs milliers de soldats, les japonais s’emparent du sommet. Ils peuvent alors observer les navires russes stationnés dans le port et en profitent pour les bombarder. Le coup est dur pour les russes qui décident finalement de capituler le 5 janvier 1905.

Bilan de la bataille et fin du conflit 

L’impact de cette victoire est énorme à plus d’un titre : 

  • Pour les mouvements indépendantistes anti-coloniaux, la victoire japonaise est un signe d’espoir, les européens ne sont pas invincibles
  • D’un point de vue humain, la bataille est une hécatombe, notamment pour les japonais qui perdent 60 000 soldats sur un total de 100 000 hommes (contre 30 000 tués chez les russes)
  • Militairement, au-delà de la surprise créée par la victoire japonaise, c’est la première fois dans l’Histoire que l’explosif est la première cause de mortalité dans une bataille. La mitrailleuse a également prouvé son efficacité contre les assauts en masse

En mars 1905, les russes sont de nouveau vaincus à Moukden mais la défaite décisive se tient en mer dans le détroit de Tsushima ou une flotte de secours venue de la Baltique est anéantie par la flotte japonaise. Encore une fois, c’est un choc pour le monde entier car c’est la première fois qu’une flotte européenne est vaincue par une flotte non-européenne. Pour le Tsar, c’est une humiliation de plus qui pousse l’Empire Russe à accepter des négociations de paix qui se conclueront par le Traité de Portsmouth signé aux Etats-Unis le 5 septembre 1905 sous la médiation du président américain : Théodore Roosevelt.

Si les russes se sentent humiliés par les défaites qui portent un coup dur à la crédibilité du régime tsariste, les négociations ne se passent pas comme prévu pour les japonais puisque finalement, les frontières bougent relativement peu. Les seuls gains territoriaux concernent la Corée (qui sera annexée définitivement en 1910) et le nord de la Chine mais les japonais perdent le contrôle des îles Sakhaline. L’opinion publique japonaise réagira d’ailleurs assez mal à l’annonce du traité et l’émissaire présent à Portsmouth avouera son scepticisme en déclarant : « je ne sais pas vraiment qui a gagné ou perdu ! ».

Conséquences à court terme

Au-delà de la surprise liée aux victoires japonaises, ce conflit aura de grandes conséquences en Asie, mais aussi plus généralement dans le monde. Les principaux enseignements ou conséquences étant les suivants : 

  • La défaite entraîne d’importants troubles révolutionnaires en Russie qui connaît alors une première révolution en 1905
  • De manière plus générale, la guerre a considérablement affaibli les finances et l’économie des deux pays. Ainsi, le Japon connaîtra une récession de 10 ans dans la foulée du conflit
  • Politiquement, la victoire japonaise est un signe d’espoir pour les peuples colonisés mais inquiète les pays européens et les États-Unis qui tenteront d’intimider le Japon en envoyant une flotte de guerre dans les ports japonais en 1908
  • D’un autre côté, la Russie se tourne vers les Balkans où l’Autriche-Hongrie a de grandes ambitions. Cette nouvelle rivalité va finalement aboutir au début de la Première Guerre mondiale
  • D’un point de vue purement militaire, l’utilisation massive de l’artillerie, des mitrailleuses et des tranchées lors du siège de Port-Arthur préfigure les affrontements de la Première Guerre mondiale 
  • Toujours concernant la Grande Guerre, les faiblesses de l’armée russe ne passent pas inaperçues en Allemagne et génèrent un trop-plein de confiance des allemands
  • Politiquement, le Tsar continuera de supporter les conséquences de cette défaite, ce qui aboutira aux révolutions de 1917 et à son assassinat dans la foulée
  • Pour les japonais, la victoire a engendré un excès de confiance dans la capacité du Japon à vaincre une superpuissance occidentale grâce à l’esprit de sacrifice des soldats japonais. Cette croyance conduira les japonais à se lancer dans une série de d’invasions et d’attaques en Asie et dans le Pacifique durant la Seconde Guerre Mondiale contre un ennemi bien plus puissant que l’Empire Russe : les Etats-Unis
  • Toujours sur le plan militaire, la victoire de Tsushima va engendrer un changement de doctrine pour la marine japonaise avec l’adoption du « Kantai Kessen », une stratégie qui se basera sur le concept de bataille décisive. Cette doctrine sera appliquée contre les américains avec l’attaque de Pearl Harbor mais aboutira à la défaite du Japon en 1945 
  • Enfin, en 1945, l’URSS de Staline se souviendra de l’humiliation de 1905 et se vengera en écrasant les japonais en Mandchourie

Voilà pour l’histoire d’une bataille relativement méconnue en Europe qui a pourtant entraîné de grandes conséquences durant les 40 années qui suivront. Dites-moi ce que vous pensez de cette bataille et de ses conséquences et n’hésitez pas à partager cet article si vous l’avez trouvé intéressant.