L’uniforme français de 1914 : pourquoi une tenue aussi anachronique ?

Uniforme 1914

Le 28 juin 1914 à Sarajevo, l’Archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, est abattu avec son épouse par un nationaliste serbe, Gavrilo Princip. Dans les semaines qui suivent, le jeu des alliances va entrainer l’Europe puis le Monde dans un conflit dévastateur. C’est le début de la Première Guerre Mondiale. Néanmoins, alors que la guerre commence, on observe une différence de taille entre l’armée française et celles des autres grands protagonistes. Laquelle ? C’est simple, les britanniques partent au combat avec un uniforme kaki, les allemands utilisent le Feldgrau (gris-vert), les austro-hongrois le hechtgrau (gris-bleu) et les russes ont un uniforme gris-vert. En face, les français portent un pantalon rouge garance (modèle 1867), une capote bleue (modèle 1877) et un képi bleu et rouge (modèle 1884). La question qu’on peut alors se poser est simple : pourquoi un tel décalage entre des uniformes français quelque peu anachroniques et ceux des autres belligérants ? C’est ce que je vais tenter de vous expliquer dans cet article/vidéo.

Réformer oui, mais pas l’uniforme 

Le 26 février 1871, la France signe le traité préliminaire de paix qui met fin à la guerre franco-prussienne démarré un an plus tôt. La défaite humiliante connue par la France dans ce conflit va alors pousser le pays à moderniser son armée et plusieurs grandes réformes – souvent inspirées du modèle prussien – sont rapidement mises en œuvre :

  • En 1872, c’est le système de conscription est revu
  • En 1873, c’est l’organisation de l’armée qui est modifiée
  • Enfin, en 1875, de nouvelles modifications sont décidées au niveau de l’encadrement et de la formation des officiers

D’autres changements, vont encore suivre dans les années suivantes, mais un aspect n’est pas modifié : l’uniforme français. Néanmoins, un conflit étranger va attirer l’attention de l’état-major : la première guerres Boers. Cette guerre qui se déroule en Afrique du Sud, oppose en 1880-81, les colons d’origines néerlandaise, allemande et française aux troupes anglaises. Dans ce conflit lointain, un élément décisif va marquer les observateurs militaires des grandes puissances. En effet, face aux troupes britanniques habillées en rouge, les boers utilisent des vêtements kaki beaucoup plus discrets.  

Une étude est alors menée en 1892 par l’armée françaises et différents essais sont effectués dans les années qui suivent :

  • En 1897, un modèle de casque en cuir noir est essayé et en 1902, c’est un casque métallique qui est testé pour l’artillerie
  • En 1903, à l’initiative du général Gillain, une tenue accompagnée d’un chapeau marron est proposée. Discrète et pratique, elle n’est toutefois pas retenue.
  • Trois ans plus tard, en 1906, un nouvel uniforme est testé dans les tons beige-bleu avec plusieurs coiffes : béret, casque et képi. Une fois encore, cette tenue n’est pas conservée.
  • Enfin, en 1909, une nouvelle tentative est faite en proposant de conserver le pantalon rouge tout en adoptant une vareuse bleu foncé. Une fois encore, c’est un échec.

Enfin, en 1910, une commission est chargée de réfléchir à la création d’un uniforme plus adapté aux contraintes modernes de la guerre. Dirigée par le général Dubail, elle propose un uniforme vert dit « Réséda ». De plus, cette nouvelle tenue possède des boutons et insignes discret tout en étant accompagnée d’un casque en liège, lui aussi de couleur verte.

Le ministre de la Guerre, Maurice Berteaux est un fervent défenseur de cette tenue, utilisée lors de manœuvres en 1911, mais le ministre meurt le 21 mai de la même année, tué par un avion à Issy-les-Moulineaux. Son successeur, Adolphe Messimy, semble également convaincu par ce nouvel uniforme, mais l’opposition combinée de l’opinion publique, de l’armée et de nombreux hommes politiques va enterrer la tenue « Réséda ».

Une nouvelle tentative de réforme est menée en 1912 sous l’égide du nouveau ministre de la Guerre, Alexandre Millerand. Deux uniformes sont alors proposés :

  • Une tenue « Réséda » modifiée qui conserve la vareuse et le casque kaki, mais réintroduit le pantalon rouge garance
  • La tenue Detaille, du nom d’un peintre militaire membre de la commission, qui propose une vareuse bleu-gris également assez discrète, tout en conservant encore une fois le pantalon rouge garance

Inutile de préciser que finalement, lorsque la guerre éclate, le soldat français partira au combat avec le même uniforme que ses prédécesseurs de 1870.

Une ultime proposition, beaucoup plus osée, est faite en juillet 1914 par le peintre lorrain Louis Guingot puisque ce-dernier proposera une veste militaire possédant des motifs type camouflage (la première de l’histoire). Une fois de plus, c’est un échec, l’idée du camouflage étant cependant conservée pour les pièces d’artillerie.

Pourquoi une telle opposition ?

Connaissant aujourd’hui la boucherie que fut la Première Guerre Mondiale, on peut légitimement se poser la question, pourquoi ? Pourquoi n’avoir pas voulu renoncer à nos uniformes colorés au profit d’une tenue plus discrète. Plusieurs explications peuvent être avancées :

  • En ce qui concerne l’uniforme « Réséda », la couleur est jugée trop proche du Feldgrau allemand. La tentative de correction de la tenue grâce au rajout du pantalon rouge garance ne convaincra pas non plus, pour des raisons de mauvais assortiment entre les deux couleurs.
  • D’une manière plus générale, ces uniformes discrets seront jugés non conforme à l’esprit français. L’idée du panache et de l’offensive à outrance étant très en vogue à l’époque, l’idée d’un uniforme qui permettait aux soldats de se cacher est jugé intolérable comme le montre cette déclaration du député Clémentel : « Il ne faut pas apprendre à se cacher à un soldat auquel l’amour propre, le désir de paraître, de se distinguer font accomplir des prodiges. »
  • De plus, chaque unité avait un uniforme distinctif qui donnait une spécificité aux troupes. Ainsi, selon les opposants aux réformes, l’adoption d’un uniforme commun aurait contribué à affaiblir l’esprit de corps inhérent à chaque unité.
  • D’un autre côté, l’attachement au pantalon rouge fut également très symbolique pour certains (avec le tristement célèbre « le pantalon garance c’est la France ! » du ministre Etienne).
  • Enfin, des pressions exercées par le lobby des producteurs de la teinte garance sont parfois évoquées mais ne semblent pas être la raison principale de ces refus.

Conclusion

Finalement, malgré de nombreuses tentatives et études menées entre 1897 et 1914, l’uniforme français reste figé dans ses couleurs de 1870. Néanmoins, si l’on peut regretter le manque de discernement de l’armée et des politiques au niveau de nos uniformes, il faut rappeler que tous les pays et états-majors seront désagréablement surpris par la violence, la barbarie et la durée de la Grande Guerre. L’ensemble des belligérants connaitra finalement des déconvenues plus ou moins importantes dans les premières semaines et chacun mènera des réformes pour s’adapter à un style de combat que personne n’avait su prévoir.

C’est tout pour aujourd’hui, dans un prochain article, je parlerai des changements apportés par la France à ces uniformes durant le conflit. Si l’article vous a plu, n’hésitez pas à le partager sur les réseaux !